Le parti pris de ces quelques lignes n’est évidemment pas de tracer une histoire exhaustive de Jean Jaurès, parfaitement faite par ailleurs par Charles Rappoport ou Max Gallo par exemple.
Avec cette monstrueuse affiche de campagne visiblement fièrement agitée par Louis Aliot (tête de liste du Grand Sud Ouest du Front National pour les prochaines Européennes), il apparaît évident que le F.N. poursuit la voie tracée de la récupération pendant la campagne des dernières Présidentielles par celui pour qui il a appelé à voter au second tour, Nicolas Sarkozy en l’occurrence. Quelle honte ! Aujourd'hui, son soutien vis à vis des plus riches face à la crise – entre autre avec le bouclier fiscal - montre bien le scandal de cette appropriation l'espace d'un moment : celui du vote !
La mort tragique de Jean Jaurès devrait interdire à la droite, ou à fortiori à l’extrême droite, de le récupérer ainsi que ce (ceux) qu'il représente encore aujourd'hui. Car il a été assassiné parce qu’il s’opposait clairement, sans faiblir et avec patience, à l’ambiance ultra nationaliste délétère qui existait dans l’Europe de cette année 1914. Il n’avait alors qu’un seul mot d’ordre : « Le combat pour la paix est aujourd’hui le plus grand et le plus urgent des combats » Et iIl en connaissait le risque. En effet, le 31 juillet 1914 au matin il déclarait à Maurice Bertre rédacteur à l’Humanité : « Si la mobilisation se faisait, je pourrais être assassiné ». Le soir même à 21 H 40 il était abattu d’une balle dans la tête.
Certes Jaurès est ensuite entré le 23 novembre 1924 au Panthéon de la République Française... Faut-il rappeler que c’est le Cartel des Gauches victorieux aux élections de 1924 qui a permis cette entrée au Panthéon ? Faut-il rappeler que la droite de l'époque a voté contre ce projet avec un mépris ignoble en déclarant à la tribune du Sénat « Il est moins dangereux au Panthéon qu’à la tribune ».
Son exceptionnel parcours, la force prégnante de sa pensée dans la conscience française est bien celle d’un socialiste ; philosophe engagé. Je rappellerai, entre autres, qu'il a pris une position déterminante pour la réhabilitation de Dreyfus dont il établit l’innocence par ses articles intitulés : « Les Preuves » parus dans la Petite République du 10 au 31 août 1898. Quatre jours après, l’Armée commençait à indiquer qu’elle avait menti pour faire condamner le capitaine Dreyfus parce qu’il était juif et que, selon elle, seul un juif pouvait donner des informations à l’ennemi allemand (!!!). Dès la fin 1896 il dénonçait la politique de réaction destructrice du système mis en place par l’armée : « Les cannibales de l’état major ». Le scandaleux acquittement le 10 janvier 1898 du commandant Estherhazy lui donnait hélas raison. Dès lors il n’eut de cesse de convaincre le groupe socialiste de l’Assemblée Nationale de combattre à la fois l’antisémitisme quasi officiel ; y compris par des manifestations, à Perpignan aussi (on criait alors mort aux juifs dans les rues) et de ne pas « livrer la République aux généraux ».
De plus, il a pris position contre les massacres d’Arméniens par le tsar Nicolas II en accusant le gouvernement français de Méline : « devant ce sang versé, devant ces abominations et ces sauvageries, devant cette violation de la parole de la France et du droit humain ; pas un cri n’est sorti de vos bouches, pas une parole n’est sortie de vos consciences et vous avez assisté, muets, et par conséquent complices à l’extermination complète ». Dans le même temps il dénonçait la corruption organisée autour des banques des emprunts russes dont on connaît la brillante réussite. Il a combattu le massacre de marocains par les troupes françaises.
Déjà dès janvier 1898 il demandait à l’Assemblée Nationale qu’en Algérie (alors française) on « fasse des Arabes des citoyens ayant droit à une représentation légale et à une part de pouvoir politique. » Le 18 mars 1913, il exigeait un budget qui ne sacrifie pas « les œuvres de civilisation première ». A ce titre, il comptait aussi la civilisation musulmane parmi les grandes civilisations mondiales ainsi qu’il l’avait exprimé auprès du gouvernement français en février 1912. Mais encore, le 17 mai 1896, il écrivait dans la Petite République : « Le socialisme ne veut pas de nations esclaves, de nations mutilées, asservies, ou même humiliées ou morcelées ».
Jean Jaurès avait osé s’élever contre la guillotine : cette peine immonde qui déshonore la démocratie » et donc contre la peine de mort pour laquelle il demandait l’abolition en novembre 1908 à la Chambre des Députés en demandant si « jamais le progrès social ne permettra la fin du meurtre ou de l’assassinat social ». Cette proposition fut rejetée par 330 voix contre 201. Ce n’est que le 17 septembre 1986 dans des proportions inverses que sous François Mitterrand, Robert Badinter socialiste Ministre de la Justice mit fin à la peine de mort institutionnelle en France.
Nous (les socialistes) sommes bien avec Jean Jaurès, clairement au quotidien et donc contre les extrémistes financiers, idéologiques donc contre la droite Sarkosyste et le Front National. Il ne faut pas se tromper : la ferveur affectueuse et admirative qu’apportait au « citoyen Jaurès » les mineurs, les paysans, les ouvriers, les modestes et les plus brillants intellectuels ne peut être détournée par les partis de droite et d’extrême droite qui croient en utilisant Jaurès pouvoir bénéficier de son aura souvent vivace auprès de tous ceux-là.
On ne refait pas l’histoire impunément.
Jaurès mettait son intelligence extraordinaire, son immense capacité de travail et son éloquence hors du commun au service des exploités en luttant avec constance et précision contre « les banquiers d’audace, les capitalistes cyniques » ainsi qu’il l’exprimait en septembre 1907 dans une réunion passionnée à Paris.
Le 31 juillet 1914 un cri se répandit en France, en Europe : « ils ont tué Jaurès ». Les successeurs de ceux qui en sont la cause, droite capitaliste et front national devraient avoir la décence de ne pas s’acharner avec et sur Jean Jaurès.
Jean Jaurès est mort assassiné parce qu’il représentait ce que détestait le plus les xénophobes, colonialistes ou impérialistes, antisémites, ultra nationalistes, marchands de canons et autres sécuritaires et anti « Droits de l’Homme » ; c'est-à-dire les mêmes que ce que prône le F.N. aujourd’hui.